Je m’appelle Eric, je suis agriculteur, et voici mon champ de maïs, situé dans le Doubs. C’est du maïs fourrage, destiné à l’élevage. On ne se rend pas toujours compte, mais le maïs, c’est essentiel à tous les éleveurs locaux : en cultivant 1.500.000 hectares de maïs en Bourgogne-Franche-Comté, on a l’assurance d’avoir (en une journée de récolte !) l’alimentation annuelle pour l’ensemble des vaches laitières de la région.
Le maïs, c’est vraiment une bonne céréale : s’il est beau, on le vend en grains pour la consommation courante, à une filiale de la coopérative Terre Comtoise ; s’il est moins beau – mais toujours aussi bon ! –, on a au moins l’assurance de remplir les silos et d’avoir de quoi donner à manger à nos animaux. L’important, le secret d’éleveur, c’est qu’on peut garder la même ration de maïs toute l’année, parce que ça se conserve extrêmement bien. C’est super, parce que ça nous permet de donner une nourriture saine et stable à nos animaux.
Mais il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres formes d’utilisation du maïs aujourd’hui, comme la méthanisation pour créer de l’énergie, ou les bioplastiques pour faire des assiettes et des couverts jetables dégradables. Moi je fais du maïs en grains, j’en plante avec un collègue, mais ça m’intéresse beaucoup, ces nouveaux usages. Tout évolue, et c’est une bonne chose ! Mon fils nous donne un coup de main parfois à la ferme, et c’est intéressant d’avoir son avis, plus jeune, sur la filière maïs. Je réfléchis beaucoup à nos futurs débouchés.
Pour en revenir au champ que vous voyez là, sachez qu’il n’est pas en retard cette année, c’est plutôt qu’il était en avance les autres années. Il est, disons, « normal » cette année, il n’y a pas eu besoin d’irriguer. Seul un quart des cultures de maïs est irrigué en France. On n’irrigue pas, nous, parce qu’on n’a pas le système d’irrigation : c’est trop coûteux et on n’a pas de cours d’eau à proximité. On s’adapte : on en sème plus que prévu, et même si les pieds les plus fragiles sèchent trop, il en reste suffisamment à la fin de la saison pour récolter assez de grains. Les pieds trop secs ne sont pas jetés, rassurez-vous ! On les transforme en fourrage pour nos collègues. On est comme ça, nous, les paysans : rien ne se perd.
À cause de ces histoires d’eau et de sélection, le maïs a une mauvaise réputation ; il faut redorer son image, c’est une plante qui est bénéfique pour la biodiversité. Vous savez qu’un plant de maïs abrite plein de faune, de micro-organismes ? Et c’est l’une des plantes qui demandent le moins de fongicides, on n’a pas besoin de désherber. Déjà, il y a 10 ans, quand on plantait du maïs, on n’utilisait pas de désherbant mais on sarclait, c’est-à-dire qu’on binait au milieu des rangs quand le maïs était encore petit. Ça s’appelle le désherbinage : désherber par le binage.
Pendant quelques temps, on a eu un ravageur très embêtant, la pyrale : c’est un papillon qui va sectionner le bas de la tige du maïs, y pondre ses œufs, et la tige va pourrir et tomber. Je ne suis pas partisan des traitements chimiques, je préfère l’agriculture hyper-raisonnée. Alors pour lutter contre l’invasion de cet insecte, j’ai été un des précurseurs, il y a plus de 30 ans, à utiliser les trichogrammes. Ce sont des petites bêtes qui vont manger les pyrales. C’est écologique, respectueux des milieux, et de plus en plus d’agriculteurs utilisent cette méthode. Maintenant, il faut innover pour faciliter cette lutte contre les ravageurs, et c’est là que la France peut tirer son épingle du jeu en créant des semences plus résistantes : ça tombe bien, les français sont parmi les spécialistes mondiaux en production de semence de maïs.
On pense que l’agriculture, ce n’est que la terre, mais l’agriculture, c’est aussi l’histoire ! Le maïs que je cultive ici, c’est la plante des Mayas : au Mexique, la divinité c’est le maïs ! Le calendrier solaire qu’ils avaient créé, c’était pour la plantation du maïs. J’ai même vu au musée du Quai Branly une exposition de statuettes de maïs. Mais elle s’est installée en France il y a bien longtemps, et il faut croire qu’elle s’est bien plu chez nous !
Quand nous avons rapporté le maïs en Europe il y a plusieurs siècles, ça a été très mal perçu, parce que culturellement – et c’est lié à la religion aussi –, c’est le blé qui est emblématique de la France. Quand le seigneur d’un territoire donnait une parcelle à cultiver à un serf, celui-ci devait payer ses impôts en fournissant la récolte d’une partie de son champ, obligatoirement en blé. Le maïs, lui, c’était cette plante qui ne rentrait pas dans les cases.
Moi, justement, je cultive le maïs parce que je ne rentre pas dans les cases : je suis passionné, l’agriculture, j’aime ça. Nos enfants aussi : notre fille fait ses études en Angleterre et veut devenir ingénieure agronome. Notre fils a 28 ans, il a un bac agricole et l’intention de s’installer à son compte, en reprenant une ferme pour se faire sa propre expérience.
Ce sont eux qui me poussent à renouveler mes pratiques. Dans notre exploitation, on a plus vocation à faire du maïs pour l’alimentation humaine, et depuis quelques années, notre production sert à faire du pain sans gluten par exemple. Notre fille, qui est végétarienne, nous a un peu poussés dans ce sens aussi, elle dit que s’il n’y avait pas d’animaux d’élevage, la planète serait plus propre.
Vous voyez, on est des agriculteurs passionnés de céréales ! Malheureusement, le grand public ne connaît pas assez le travail du maïs, il faudrait plus parler de notre métier. Vous avez bien enregistré tout ce que j’ai dit, n’est-ce pas ?